Cela fait bien longtemps que ce texte aurait du être écrit. Voilà qui est fait ^^ Bonne journée à tous!


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- Tu es bien sûr de ta décision?

- Evidemment voyons. Allez, officie, cesse de discuter.

- Attends un peu. Ce n'est pas une chose à faire à la légère. Tu me presses comme si tu craignais de changer d'avis. Je pense que ça vaut le coup de faire une dernière fois le point. De mettre à plat tout ce que cela implique. Je te connais, je sais que tu détestes reculer. Mais étant donné l'ampleur de l'acte que t'apprêtes à commettre... changer d'avis n'aurait rien de honteux. Cela fait des ères qu'aucun d'entre nous n'a plus osé... Il y a bien des raisons à cela.

Orfen soupira. Son ami avait raison, bien sûr. Mais il se sentait si impatient... Il ferma les yeux et s'obligea au calme. Le fil de ses pensées et de ses émotions se déroula de plus en plus lentement, puis s'immobilisa tout à fait. Lorsqu'il parla, ce fut d'une voix totalement neutre, comme s'il ne faisait que lire un document qu'il aurait eu sous les yeux.

- Je me nomme Orfen. Je suis une âme de ce monde de magie que ses habitants ne nomment pas, mais que les Humains appellent parfois Faërie, Nirvana, Valhalla, Paradis... De la même façon, bien qu'entre nous nous ne fassions aucune distinction de "race", pour ces êtres je suis un Sylphe, ou un Ange, selon les mythologie.
Il fut un temps où la foi des hommes en la magie était suffisamment grande pour nous ouvrir la porte de leur monde. Cette époque est révolue. Désormais, pour marcher parmi eux, il faut devenir l'un d'entre eux. Cette opération n'est pas sans conséquences. En effet le corps humain n'est pas adapté pour supporter nos âmes. Nos natures sont fondamentalement différentes. Mais il faut savoir que le transfert entre les mondes est possible. Voici ce qu'il implique.
Tout d'abord, les souvenirs ne peuvent être implantés. Ils sont donc conservés à la lisière de la conscience durant toute la période d'incarnation, et ne sont récupérés qu'à la fin de celle-ci. Ils provoquent chez le sujet humanisé une impression de vide, un manque permanent. Peut-être une âme suffisamment forte, si elle parvenait à trouver une source de magie, pourrait-elle créer un pont entre les mondes, et se restaurer elle-même. La cas ne s'est jamais présenté à ce jour.
Second point important: quelque soient la nature et les intentions de l'incarné, la possession d'un corps humain l'assujettit à celui-ci. L'incarné sera donc soumis aux émotions humaines, tout en conservant son identité propre. Si cette identité n'est pas suffisamment solide, l'expérience peut très mal tourner. Car l'incarné sera à la fois semblable aux autres hommes et différent d'eux. Il sera sans cesse déchiré entre les deux mondes, et ne trouvera son équilibre que s'il dispose d'une volonté inébranlable. Bien entendu, cela parait évident avant le départ, mais lorsque l'on a perdu tout souvenir de son identité, la chose est plus complexe.
Vient enfin le problème de l'amour. L'amour des êtres de magie diffère énormément de celui des hommes. Sa portée est plus intense, plus profonde. Ce que l'humain nomme amour, nous le ressentons pour tous les êtres vivants. Et le sentiment que nous pouvons ressentir pour notre "âme-soeur"... L'homme ne peut le comprendre. L'incarné prend le risque de se noyer, de se perdre dans ses propres sentiments. S'il ne parvient pas à accepter le fait d'aimer intensément tout ce qui l'entoure (ce qui n'est pas naturel chez l'homme, plus exclusif dans ses émotions, sujet à la peur et à la jalousie) il risque de sombrer dans la folie.

Orfen rouvrit les yeux. Son corps, son visage et sa voix s'animèrent, chargeant son discours de passion.

- Tu vois, je suis conscient de tout! Je mesure pleinement les risques. Mais je veux tout de même le faire.

- Tu oublies quelque chose. Tu m'as décrit ce que tu désires faire et ce que cela implique, mais pas tes raisons. Il n'y a qu'en exposant tes raisons et en les comparant aux dangers encourus que tu sauras vraiment si...

- Arrête s'il te plaît. Mes raisons, tu les connais. Je me suis suffisamment étendu là-dessus auprès de tous. Tu veux réellement les entendre de nouveau? D'accord.
J'aime les humains. Je trouve qu'ils ont un immense potentiel. Nous ignorons pourquoi nos deux mondes se sont séparés, mais je trouve cela anormal. Je trouve triste également qu'ils soient en train de se détruire. Ils sont perdus, c'est évident! Et peut-être notre isolement mutuel y est-il pour quelque chose.
Il faut remédier à cela. Il faut créer des ponts entre nous. Tu l'as vu comme moi, nous l'avons tous vu, certains d'entre eux sont capables de nous atteindre. Ils sont peu nombreux et ils ne croient pas suffisamment, ou pas de la bonne manière, pour réellement franchir la frontière. Mais ils en sont proches. De notre côté, nous devons les y aider. Comme je l'ai dit, si une âme suffisamment forte s'incarnait là-bas... Le cas ne s'est jamais présenté, mais ça n'exclut pas la possibilité! Il faut donc essayer!
La peur qui nous retient n'est pas si différente de celle qui les ronge et les détruit. Nous clamons que notre capacité à aimer est différente de la leur, et pourtant elle n'est pas assez forte pour nous pousser vers eux sans crainte pour nous-même? C'est idiot.
On va me dire "tu fais de beaux discours, mais tu n'agis pas". Et bien si, je vais vous montrer, à tous, que c'est possible.

- Mais...

- Je sais, ce n'est pas ma seule raison. Sans que l'on sache pourquoi ni comment, Elle s'est retrouvée là-bas. Je veux la rejoindre. Je dois la rejoindre. Je sais que je la retrouverai.
Allez, cela devrait te suffire! Officie, s'il te plait!

L'Ancien soupira.

- Après tout, tu es libre de tes choix. Je n'ai pas à vouloir te dissuader, excuse-moi. Allez, entre dans le cercle. Bonne chance.

Dans un crépitement de magie, Orfen franchit sans hésitation la ligne tracée sur le sol. L'Ancien leva les mains et psalmodia. Au fil de la litanie, les contours du Sylphe se firent de plus en plus flous. Son essence se liquéfiait et se concentrait tout à la fois, adoptant une forme qui lui permettrait de se faufiler dans l'interstice séparant les deux mondes. Et il disparut...